Extraits de Laissés pour contes (Tarmac éd.)

VI 16 mai 2007, couloir de la gare du Nord, Paris 18è.

L’homme qui mourrait

L’intouchable n’est plus, du moins où, depuis trois ans, borne d’un corridor voûté qui pisse le jus sous terre, il était assis, beau d’une Inde vague, embrassant ses jambes immenses de marcheur échoué. Sa peau verte et d’or serait venue d’un conte, ses longues mains comme des araignées de mer pinçaient le riz perlé de lentilles qu’au matin déposaient d’invisibles doigts du Temple de Ganesh. Il était le rat qui supporte l’éléphant, le rat dont les poils tomberaient. Sa chemise flottante, toujours propre, était une prière du dehors, un murmure de connivence avec les porteurs de jasmin, en bouquet serrés dans une cave ou une chambre de bonne. Une barbe sombre et bouclée inventait une sagesse. A chaque lune, pourtant, les joues creusaient un peu plus leur fosse où les ongles sertis de crasse fouillaient la fièvre. Il fut tondu. La tôle des mâchoires enfoncées se mit à luire et les lèvres ourlèrent la gencive édentée. La tunique se couvrit de graisse et de morve. La barbe fut rasée. A ses pieds, sans plus de sandale, moisit l’offrande. Les yeux, acculés au fond de leur alcôve, touchaient presque au cristal de la mort mitoyenne. La tête balança entre les jambes, rendue au sanctuaire d’une origine. Les grains de riz séchés étaient devenus des œufs de fourmis enveloppés dans une grande mue d’homme, beau d’une Inde vague, qui dans un film rose aurait joué le baiser mystérieux d’un amant. Il ne reparut plus.

Dans mes veines l’eau du caniveau coule. La mousson dressera le riz. Il ne faudra pas toucher au corps qui flotte sur les terres inondées. Si c’était un dieu, peint au fond des latrines ?

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